Une semaine déjà , même plus, que nous trépignons d'impatience à l'idée d'atteindre la Patagonie et le bout du monde, la ville d'Ushuaia. Quitter l'agitation, le bruit, la foule pour retrouver l'isolement des grands espaces, la nature, l'aridité et également le froid !
Et le changement, effectivement, est brutal ! L'arrivée à Ushuaia après 3h30 de vol est splendide : d'abord les montagnes enneigées qui s'étendent à perte de vue, sommets desquels nous nous rapprochons jusqu'à presque les frôler pour y découvrir des lacs d'une couleur indescriptible. Et puis le canal de Beaggle, cet immense canal qui relie le Pacifique à l'Atlantique, et enfin Ushuaia, ville portuaire tant rêvée et dont le présence paraît pourtant si inattendue en cette contrée aussi sauvage, déserte et inhospitalière.
Le froid cinglant, vivifiant, nous donne un énorme coup de fouet comme pour nous réveiller et nous rappeler la chance que nous avons d'être ici. Tout le chemin parcouru semble aboutir ici, au bout du monde, à l'autre extrêmité du continent d'où nous sommes partis il y a plus de sept mois ; l'arrivée a Ushuaia est plus qu'un symbole pour nous... Et effectivement on ne pouvait rêver plus belle fin que cette contrée pour un si grand continent.
Ushuaia, deuxième ville la plus australe du monde (après Puerto Williams au Chili, presque en face), s'avère plus grande qu'on se l'était imaginée. Elle est située dans un environnement grandiose, encerclée par la mer et les sommets enneigés qui se détachent dans le ciel où que l'on porte le regard. Peu touristique en cette toute fin de saison, elle n'en est que plus douce et accueillante à l'image de ses habitants qui ont le tutoiement facile. En revanche bien sûr, il y fait plus froid, toutes les excursions ne sont plus possibles et le jour ne dure plus 18h en cette saison, loin de là ! Nous trouvons une petite posada géniale où nous installer et partons sur le port nous renseigner pour la navigation sur le canal de Beaggle.
|
Ici se regroupent toutes les agences proposant les excursions maritimes, difficiles de choisir. Grosso modo, toutes les excursions et les tarifs sont identiques, les différences se situent sur la taille des bateaux (usine à touristes ou tout petits bateaux) et le choix de l'itinéraire. Nous optons pour une excursion se rendant vers le phare des Eclaireurs et une île où nous pourrons voir des lions de mer (comme toutes les autres excursions) puis continuant ensuite jusqu'à l'île des pingouins et l'estancia Haberton, le retour étant prévu en bus avec différents arrêts en cours de route.
Malheureusement le temps est très couvert le lendemain matin. Le bateau, presque vide en cette saison (cool !), part tout de même et nous dévoile, alors qu'il s'éloigne sur le canal de Beaggle, de belles vues sur la ville et les sommets enneigées. Le froid est cinglant sur le pont, les rafales de vent violentes, les éléments se déchainent, cette fois c'est sûr nous sommes vraiment au bout du monde !!! Emmitouflés comme pas possible, nous nous accrochons comme nous pouvons sur le pont et observons les nombreux lions de mer qui nagent en groupe à proximité du bateau.
Bientôt apparaît au loin le phare des Eclaireurs. Non, même s'il en est fortement inspiré, ce n'est pas vraiment le Phare du Bout du Monde de Jules Verne, le véritable se dressant 300 km plus à l'est, mais qu'importe, il flotte ici aussi un sentiment d'isolement et d'aventure...
Non loin, sur les rochers, quelques lions de mer se reposent. Ils ne sont plus très nombreux en cette saison, mais peuvent s'observer ici par centaines durant l'été. Malheureusement la navigation est trop dangereuse pour que nous puissions les approcher de très près.
Les cormorans volent à quelques mètres du navire, leurs cris languissants ajoutant à l'ambiance presque irréelle qui règne ici.
Mais le capitaine nous demande de rentrer à l'intérieur, les vents sont trop violents. Euh, ouais, si on y arrive vu comme ça tangue !!! Après quelques frayeurs nous voici en sécurité mais malheureusement nous rentrons au port sans pouvoir naviguer jusqu'à l'île où se trouvent les pingouins... On est dégoûtés car on tenait vraiment à les voir, même si on nous avait prévenu qu'ils n'étaient pas nombreux actuellement, la plupart ayant déjà migrés vers le nord. Bon d'accord, on savait bien qu'on ne verrait pas toute la colonie, mais on voulait juste en voir un ou deux nous... snifff...
Bon, de toute façon c'est comme ça, personne n'y peut rien ! A la place, l'agence nous propose de rejoindre l'estancia Haberton en bus, c'est parti ! La route est magnifique, les premiers paysages de Patagonie apparaîssent, des grandes étendues désertiques en arrière plan desquelles se dressent les Andes, difficile de détourner les yeux de ces paysages... Ici vivent de nombreux castors (espèce qui a été réintroduite en Terre de Feu dans l'espoir de faire le commerce de leur fourrure, commerce qui échoua au grand bonheur des petites bêtes) et nous pouvons observer les dégâts (inondations, éfondrement de digues, destruction de forêts, ...) qu'ils créent sur l'environnement en fabriquant de véritables barrages. Mais aucun de ces animaux à l'horizon puisqu'ils ne sortent que la nuit.
Les paysages se font de plus en plus secs, arides, dans cette contrée où les rafales de vent sont d'une violence inouïe. Si en cette période le temps est encore relativement clément, il en sera tout autre d'ici quelques semaines. On en a un aperçu en découvrant des dizaines d'arbres qui semblent pousser à l'horizontale tant les vents violents les ont forcé à vivre complètement penchés pour ne pas se faire déraciner, hallucinant !!! On a d'abord l'impression que ce sont les vents qui les poussent de côté et qu'ils vont se redresser, mais non, ils restent constamment figés dans cette position.
La route cède la place à une piste en terre tandis que nous approchons de l'estancia Harberton, estancia isolée de toute civilisation, heureusement située dans une crique abritée des vents. L'endroit est reposant, intime et simple (ça nous change de l'estancia visitée dans les environs de Buenos Aires !). Jusqu'en 1992, la ferme vivait essentiellement de l'élevage des moutons mais a dû cesser son activité suite à un hiver particulièrement violent durant lequel presque toutes les bêtes moururent. Désormais, les habitants, qui s'éclairent encore grâce à un groupe électrogène, vivent grâce au tourisme.
Il s'agit de la plus ancienne estancia de la Terre de Feu, crée en 1886 par le pasteur Thomas Bridges, le premier Européen qui vécut en Terre de Feu et défendit les indiens Yaghans qui vivaient ici et se réfugiaient sur ces terres en cas de besoin. Aujourd'hui l'estancia appartient à l'un de ses descendants. Nous visitons l'extérieur, découvrant les jardins, les forêts alentours et les différentes sortes d'arbres et d'énormes buttes de terre composées des coquilles de moules dont les indiens se nourissaient et qu'ils amassaient ensuite en monticule. Leurs huttes traditionnelles sont également reconstituées.
Dommage que le temps ne soit pas plus dégagé pour profiter de la vue, mais n'empêche, un détour jusqu'ici vaut vraiment le coup, tant pour les paysages en cours de chemin que pour la visite de l'estancia en elle-même. En plus, un renard (appelé zorro ici) passe non loin du bus, sympa !
Bientôt la pluie s'en mêle, puis la neige !!! Les beaux paysages s'évaporent sous les rafales de neige. Ces contrées inhospitalières nous donnent un exemple des dures conditions de vie qui y règnent une bonne partie de l'année... Du coup la vue sur les lacs Fagnano et Escondido est loin d'être époustouflante. Ça caille dans ce minibus, on est frigorifiés. Heureusement, nous nous arrêtons plus loin dans un élevage de chiens de traineaux pour boire un énorme chocolat chaud au coin de la cheminée, on se croirait revenus chez nous l'espace d'un instant !
De retour à Ushuaia, nous restons rêveur devant le pont d'embarquement vers l'Antartique... Et oui, il est possible aujourd'hui d'embarquer pour des croisières en Antartique d'une durée de 10 jours minimum, d'atteindre ces terres de rêves et de fantasmes que l'homme n'a pas encore abimée... On aurait adoré mettre les pieds sur ce continent, découvrir ces grands espaces parmi les plus beaux au monde et bien sûr on s'était renseigné avant de partir, tous comme les 25000 touristes environ qui, chaque année, embarquent vers l'inconnu entre novembre et mars. Seul frein, le prix, exhorbitant... Dommage, ça reste comme un rêve inachevé, un prétexte pour revenir, et on se jure que, un jour, on ira nous aussi.
Le lendemain matin le soleil brille, ouf... même si ici il vaut mieux se méfier car le temps change du tout au tout d'un instant à l'autre, nous le constaterons sans cesse au cours de la journée. Afin d'être indépendant, nous louons une voiture pour la journée (plus cher que le bus mais permet beaucoup plus de liberté, et bien moins cher que les excursions proposées par les agences) et prenons la direction du parc national de la Terre de Feu.
La voiture, la liberté, le soleil, la nature, on en profite ! Premier arrêt à la gare du Bout du Monde où il est possible d'embarquer pour une promenade à travers le parc. Ce train, reconstitution à l'identique de celui qu'utilisaient les bagnards au début du vingtième siècle, apparaît bien décalé !
Le parc de la Terre de Feu est situé en bord de mer, dans une région aride où soufflent des vents violents qui ont courbés ici aussi les arbres dans des postures insolites, terre où il fait rarement plus de 10 degrés, même en été. Nous nous arrêtons à la baie Ensanada Zaratiegui, petite crique déserte et calme. Un petit bureau de poste, malheureusement fermé, y est installé et, ormis l'envoi de cartes postales depuis le Bout du Monde, propose de faire apposer le tampon "Fin du Monde" sur son passeport !
Le parc est très sauvage, inhabité et déserté en cette saison, c'est une grande bouffée d'oxygène que de le parcourir en compagnie des centaines de lapins qui courrent dans les buissons.
Le lieu est idéal pour la marche, plusieurs chemins plus ou moins longs permettent de découvrir la côte mais aussi la faune et la flore du parc. De nombreux arbres présentent des noeuds qui peuvent atteindre jusqu'à 1m de diamètre, les arbres se défendant ainsi de champignons parasites qui les infectent. Outre les lapins et les oiseaux, le parc compte également des colonies de castors qui ne s'activent malheureusement que la nuit.
Nous arrivons tout au bout du bout du monde cette fois, à la fin de la route 3. Il faut faire demi tour ici, un panneau indique l'Alaska à 17848 km et nous restons songeurs devant ce chiffre, réalisant tout le chemin parcouru depuis le 29 août 2007, il y a bientôt 7 mois et demi... Les images repassent dans nos têtes, tant de moments magiques ou insolites, de lieux différents, de rencontres... On reste comme des gosses devant ce panneau, simplement heureux à l'idée d'avoir réalisé tout ça déjà ; on immortalise l'instant.
La route cède la place à de nombreux sentiers, certains longeant la baie de Lapatala qui forme la frontière avec le Chili. Les arbres ont été rongés récemment, sûrement ce matin car ils ne sont pas mouillés, les castors doivent être nombreux ici aussi.
Quel calme... à peine perturbé par les bonds des dizaines de lapins qui, en construisant leurs terriers, déterrent les coquilles de moules que les Indiens accumulaient ici aussi en d'immenses monticules.
Um bruit un peu plus furtif, nous écoutons, il s'agit d'un renard dissimulé dans les branchages, à l'affût des lapins. Les rapaces également les guettent, ils ne semblent pas vraiment en sécurité.
Retour à la voiture après cette longue marche, et nous rejoignons une autre partie du parc, celle des turbals. Ici la mousse et les herbes prennent des teintes rouges et orangées qui tranchent avec le vert des montagnes et le gris des arbres morts.
Déjà le soleil s'en va, la journée est passée en un éclair même si nous avons eu le temps de visiter tout le parc tranquillement. Avec le soleil s'en va le peu de chaleur qu'il dégageait, un vent glacial se lève, il devient difficile de rester dehors. Après un dernier détour rapide jusqu'à une cascade, nous rentrons vite rendre la voiture et nous réchauffer.
Ces premiers paysages nous ont donné envie d'en voir plus, c'est donc de jour et en bus que nous rejoindrons El Calafate, traversant ainsi toute la Terre de Feu.